Les prisonnières-ers politiques basques Iosu Urbieta, Xabi Goienetxea, Joseba Fernandez, Izaskun Lesaka, Mikel Karrera et Arkaitz Agirregabiria comparaissent devant la Cour d’assises spéciale de Paris pour leur appartenance à ETA et la mort d’un gendarme français en 2010.
Ils et elle ont tenu, à plusieurs reprises, à faire des déclarations afin de préciser leur lecture de la situation actuelle du Pays basque. Nous en reproduisons certaines ici :
LECTURE DE LA SITUATION POLITIQUE
La lutte pour la libération du Pays Basque vient de loin, elle est bien plus ancienne que la création de l’ETA et elle ne prendra fin que lorsque le but, sa libération, sera atteint.
Il est nécessaire de nous situer dans le contexte des faits pour saisir le sens et les enjeux de l’action que l’ETA comptait mener le 16 mars 2010. Pour cela nous allons analyser chronologiquement la période qui va de fin 2009 au début 2011.
La gauche abertzale était à l’époque traversée par les réflexions et les débats politiques qui allaient quelques années plus tard aboutir à un changement de stratégie. Dans le communiqué par lequel l’ETA répondit à la déclaration de Altsasu elle déclarait clairement: “la gauche abertzale s’est exprimée et l’ETA fait bloc avec elle”. Cette déclaration d’Altsasu mettait en avant un profond changement de stratégie. L’ETA arrêta provisoirement ses actions. Elle ne rendit pas l’arrêt publique mais fit part de sa décision aux gouvernements français et espagnol.
L’arrêt des actions armées supposait pour l’ETA un changement aussi dans son fonctionnement. Tout cela dans une contexte très difficile, sous une vague répressive exacerbée des forces armées espagnoles et françaises. C’est dans cette période de changement, dans le but de préparer les conditions pour la nouvelle phase que s’inscrit l’action d’approvisionnement en véhicules du 16 mars.
Le 3 mars, des personnalités reconnues internationalement font une déclaration qu’on connaitra comme la déclaration de Bruxelles.
Dans un communiqué du 10 mars l’ETA se dit prête à faire les changements politiques nécessaires.
Le 11 mars on apprend que le corps de Jon Anza est apparu à l’hôpital Purpan de Toulouse, en Occitanie. L’État français avait décidé de mettre fin à la disparition et rétention du corps de notre camarade.
Le 16 mars, action d’approvisionnement de véhicules. L’incursion de la police française fait échouer l’action. Le bilan est lourd, un camarade arrêté et un policier mort. Mais le bilan aurait pu être plus grave vu que les policiers ont tiré sur les militants avec l’intention de les atteindre.
24 juillet, lors de l’hommage rendu à Jon Anza, trois personnes encagoulées lurent un communiqué de l’ETA. Dans ce communiqué l’ETA montra sa disposition à chercher à dépasser le conflit par des voies démocratiques.
5 septembre l’ETA fait publique sa décision de cessez-le-feu de début d’année.
25 septembre 2010 signature de l’Accord de Gernika. Les signataires prennent le compromis de mener le combat politique par des voies politiques et démocratiques.
8 janvier 2011, l’ETA répond par un communiqué aux compromis adoptés à Bruxelles et Gernika en montrant son accord et déclare la mise en place d’un cesse-le-feu permanent et vérifiable.
Février 2011 un groupe d’experts internationaux mettent en place une commission de vérification du cesse-le-feu.
Il est clair que le rôle de l’ETA pendant tous ces mois fût clé et décisif pour faire avancer la situation. Son premier objectif a été de récréer les conditions nécessaires pour ouvrir la possibilité aux événements politiques postérieurs. Ce qui a suivi n’est que la confirmation de ses décisions.
25 septembre 2011 le Collectif des prisonniers politiques basques signe l’accord de Gernika.
17 octobre 2011, Conférence d’Aiete.
20 octobre l’ETA en accord avec les résolutions de la conférence d’Aiete fait connaître sa décision d’arrêter définitivement la lutte armée. L’Organisation met en œuvre les changements nécessaires pour dissoudre les structures destinées à la lutte armée et commence un processus de démilitarisation.
Voyons ce que l’État français a fait pendant ce temps là:
- Il a depuis début 2010 arrêté 67 citoyens basques, parmi eux un certain nombre de militants de l’ETA.
- Il a depuis l’arrêt définitif de la lutte armée arrêté 41 personnes dans 21 opérations de police.
- Il a dispersé d’avantage les prisonniers du collectif qui étaient déjà dispersés et éloignés. Le collectif se trouve aujourd’hui éparpillé en groupes de deux ou trois prisonniers.
- Il n’a rien fait pour que les conditions de détention des prisonniers soient meilleures et les provocations et les agressions n’ont pas cessé.
- Il empêche la libération des militants qui arrivent en fin de peine et les arguments des avocats de l’État sont de plus en plus rétrogrades, comme jamais on n’a utilisé contre l’ETA.
Les dernières arrestations faites à Biarritz, Ortzaize et Baigorri nous montrent bien dans quelle démarche se trouve l’État français. Dans cette dernière opération ont été arrêtés quatre basques qui seraient liés à l’ETA. Encore une fois c’est le ministre de l’intérieur espagnol qui a fait connaître une opération policière qui a eu lieu territoire français. D’après lui cette opération a été menée par la Guardia Civil avec l’aide de la police française. Ils l’ ont nommé Opération Pardines.
Cela montre clairement que:
- C’est la Guardia Civil qui mène la lutte contre le Pays Baque au nom des deux États.
- En nommant l’opération du nom du premier Gaurdia Civil mort dans un affrontement fortuit avec des militants de l’ETA ils cherchent à représenter un fin de cycle. Mais le parcours de l’ETA ne finit pas avec les événements de Viliers-en-Bière, comme il n’a pas débuté à Venta Handi. Mais le fait est que le premier et le dernier des morts dus à l’activité armée de l’ETA ont au lieu lors des affrontements fortuits, des affrontements non voulus.
- La volonté notoire de la part de certains de diviser l’activité armée de l’ETA en deux parties distinctes. L’ETA aurait eu un sens sous Franco mais elle n’aurait plus de sens lors quelle s’attaque aux neo-franquistes de la mal appelée démocratie. On l’a même entendu dans cette salle de la bouche des procureurs qui nous accusent au nom de la République française. La Guardia Civil n’a pas de doute, par contre, pour elle il n’y a qu’une seule organisation et elle a toujours été son ennemie.
- Que l’ETA pratique ou pas la lutte armée, qu’elle lutte contre une dictature ou une dictature de fait, cela ne change rien. C’est qui est interdit c’est la résistance, la lutte, Euskal Herria, le Pays Basque. Par contre la Guardia Civil est celle de toujours, elle est aujourd’hui la même que celle du franquisme. La même qui torture, qui répand la terreur, qui occupe le Pays Basque.
L’ETA a arrêté la lutte armée il y a quatre ans. Et malgré tout types d’obstacle, provocation, involution et réfutation que le processus a eu à surmonter l’ETA reste ferme sur ses positions. Le souci le plus profond de notre organisation a été d’encourager, alimenter et promouvoir le processus politique qui apportera à notre pays la liberté et la paix.
Les partis politiques malgré leurs premières déclarations non fait aucun pas pour aller à la source du problème et avancer dans la résolution. Les États ont ajouté à leur refus de négociation, ce qui est depuis le point de vu des standards internationaux, une virulence incompréhensible. Au lieu de faire des pas pour soulager les conséquences du conflit ils essayent de changer les lois pour bloquer même des avancées prévues dans la loi.
Lors des événements de Villiers-en-Bière ETA était cherchait à avancer dans le chemin de la paix. Elle le fait toujours.
Par contre les États espagnol et français n’ont pas cessé de empêcher cette démarche. Ils ont mis tous leurs moyens en ouvre pour le faire. Ce tribunal fait partie aussi. Regarder de l’avant ne veut pas dire oublier le passé. Il est indispensable de regarder en arrière pour que les erreurs du passé ne se répètent pas. Le chemin qui amènera la paix au Pays Basque ne passe pas par cette salle. Mais ces tribunaux ont aussi leur responsabilité, ils peuvent aider à faire ce chemin et surtout éviter que des nouvelles raisons pour la révolte ne se produisent.
La question reste toujours ouverte, est-ce que la France se limite à suivre la stratégie de l’Espagne ou le fait-elle tout en cachant derrière les demandes espagnoles ses propres intérêts stratégiques?
Il serait intéressant de savoir quelle des deux est majoritaire. Mais pour nous les conséquences sont claires: les deux États maintiennent historiquement une stratégie de guerre contre le Pays Basque -et contre nombreux autres pays du monde- qu’ils pérennisent et qu’il n’y a aucun indice pour croire qu’ils comptent changer et chercher des les voies d’une solution. C’est ce que leur pratique politique nous a montré clairement ces dernières années et c’est ce qui nous montre ce procès tronqué qui à lieu dans cette salle.
A PROPOS DES PERSONNES AYANT SUBI DES CONSÉQUENCES DU CONFLIT
Il est dans l’air du temps de parler de La Mémoire, des victimes ou des conséquences du conflit.
Toute nation construit le récit de sa mémoire et de ses mythes pour le transmettre aux générations suivantes, mais cette narration est souvent jalonnée de périodes sombres ou des passages à vide.
Nous, qui sommes assis sur les bancs des accusés, savons de quoi on parle quand on parle de zones d’ombre dans l’Histoire. Ce que nos grands-parents, survivants de la guerre de 36-39 nous ont transmis sur cette période est minime. Nous comprenons pourquoi, tout d’abord parce que le fait de remémorer les souffrances vécues pendant la guerre leur supposait les revivre; mais aussi parce que la terreur répandue par les forces franquistes était toujours-là. Terreur qui a été et qui est toujours présente et en pleine vigueur.
La campagne de terreur contre le Pays Basque n’a jamais cessé.
Nous avons vu, il y a peu, l’Europe fêter le 70 anniversaire de la Paix. L’Espagne, sans aucun scrupule, s’y est invitée sans tenir compte de l’affront que pour les victimes supposait sa présence. De quel droit elle était là? D’après des experts et des historiens lors des 79 dernières années le chiffre de personnes disparues de force au Pays Basque, si on se réfère au pourcentage de population, dépasse celui des disparus en Argentine ou au Chili. On parle de la disparition forcée de 12.000 personnes.
Les vainqueurs et ceux qui s’y identifient nous répètent que ce ne sont que « des vielles histoires » ou « des vielles blessures » à oublier. Mais non, ces blessures saignent encore aujourd’hui. Il est impossible d’avancer si on ne s’attache pas à régler les conséquences du conflit, et surtout si on ne s’attarde pas sur les causes qui sont à l’origine. Il est impossible de recréer la paix sur l’injustice léguée par la répression.
Un grand effort est en train d’être fait par la population civile pour récupérer et rendre publique la mémoire effacée. Travail méprisé et pas soutenu par les institutions et qui est souvent entravé. C’est grâce au crowfoundig, qui renouvelle l’ancienne tradition du travail communautaire, que les ossements des assassinés en 36 sont en train d’être mis au jour et identifiés pour être mis sous terre dignement.
De sa part, l’Etat espagnol et ses comparses, après avoir décrété que la violence n’est apparue qu’avec l’ETA, a mis en place des listes de victimes de la lutte armée tout en mettant en scène des actes d’hommage en leur mémoire. Par des décrets successifs des listes de victimes ont été rédigées en les classant par catégories tout en ajoutant un prix à la souffrance et aux sentiments. Il semblerait que cela va de paire avec la mode ou l’esprit capitaliste de la société dans laquelle nous vivons.
L’intérêt pour les victimes est nouveau. Les institutions n’en ont montré d’ intérêt jusqu’aux années 90. Aujourd’hui, par contre, le respect dû aux victimes est devenu l’excuse pour refuser toute avancée dans le règlement du conflit. Il y a un clair refus à s’attaquer aux causes de l’affrontement. L’existence même de l’affrontement est niée.
À ce jour, seule une partie restreinte et très spécifique des personnes ayant subi des conséquences du conflit est mise en avant et traité comme unique victime d’injustice.
Il faut aller à la racine, il est indispensable de mettre en place le moyen pour surmonter les causes du conflit sinon on ne fera que l’alimenter.
Dans cette bataille pour le récit du passé, même les mots ont perdu leur sens. C’est pour cela qu’il faut mettre au clair certains points.
Des institutions crées par l’État et qui prétendent travailler pour la paix nous parlent d’enquettes à mener pour mettre au clair quelques actions faites par l’ETA. Pourtant l’ETA a toujours revendiquée ses actions par la voie de ses communiqués publiques. Ce qu’ils font en réalité est légitimer tous les dossiers crées grâce aux tortures infligées à des milliers de militants, légitimer les condamnations qui ont suivi ces aveux extorqués. Qu’est qu’ils proposent comme méthode pour éclaircir ces dossiers? Qui vont-t-ils torturer cette fois-ci? Ou, vont-t-ils peut-être faire comme ces derniers temps et prendre au choix des militants pour les inculper sans aucune preuve?
Par contre il y a de quoi s’occuper dans les égouts ou chez les responsables des États. Qui a donné l’ordre et qui a couvert les actions de guerre contre les citoyens basques? On commence à entendre dire qu’il y a eu des tortures. Mais où sont ces fonctionnaires de l’état qui ont torturé 10.000 basques? Où sont les responsables politiques qui ont permis que ces fonctionnaires perpètrent cette sale besogne? Où tous ceux qui ont applaudi ou qui ont regardé ailleurs?
On nous parle d’autocritique. L’autocritique est la lecture critique et personnelle de ses agissements que chacun fait de son propre gré. Les militants de l’ETA ont l’obligation de la faire dans le sein de son organisation. L’ETA le fait publiquement en informant de ce qui a été fait tout en ajoutant les raisons et les objectifs de chaque action. Les autocritiques imposées, le chantage qui se cache derrière cette demande d’autocritique n’a comme objectif que l’anéantissement du militant, mais qui a encore un objectif plus ambitieux: la destruction d’un projet politique. La demande d’autocritique n’est qu’un nouveau obstacle qui fait de celui qui s’acharne à trouver des solutions le porteur exclusif du poids de la responsabilité.
L’ETA ne pratique plus de lutte armée, elle ne la pratiquera plus. La situation n’est pas pourtant plus distendue aujourd’hui. Ceux qui étaient sous la menace de l’ETA oui, ils ont vu sa situation changer complètement, mais la répression structurelle qui subissait le Pays Basque est maintenue fermement. C’est cette répression qui est à la source de la violence du conflit. Comment peut-on qualifier le fait de maintenir les prisonniers qui ont décidé de suivre le combat pour ses idées par des voies pacifiques dans des conditions extrêmes de survie et qu’on leur demande de faire une lecture critique de son passé?
C’est le monde à l’envers. On empêche l’ETA de mettre à terme son processus de désarmement. On fait de la politique sur le dos des victimes. Les prisonniers, otages dans les prisons des États, souvent dans des conditions pires à celles des années les plus dures de l’affrontement armé, subissent le chantage de la demande d’autocritique.
Les militants de l’ETA ont toujours gardé l’esprit critique envers ces faits, sur ce qu’ils étaient en train de faire et sur ce que ils allaient faire. Critiques envers tout, même sur la pratique de la lutte armée.
Nous aimerions vous faire entendre les paroles que notre camarade Jose Migel Beñaran Ordeñana, “Argala”, a enregistré en 1978 juste quelques jours avant d’être assassiné à Anglet par des barbouzes payés par l’Etat espagnol. Nous tenons à signaler que cet attentant a eu lieu sur ce que les français considèrent comme leur territoire et que 37 ans plus tard reste toujours sans éclaircir. Ainsi disait donc Argala par rapport à la violence, sur le côté humain de lutte armée:
« Je sais par expérience propre que les militants de l’ETA n’aiment pas la violence…. personne n’aime la lutte armée, elle est désagréable, elle est dure, à cause d’elle on peut finir en prison, en exil, être torturé, mourir, elle peut mener à tuer quelqu’un d’autre, elle endurcit la personne, lui fait du mal, mais la lutte armée est incontournable pour aller de l’avant. »
Les militants de l’ETA avons eu recours à la lutte armée pour mettre fin à une situation de répression et de violence, dans le but d’aller en avant dans le chemin de notre liberté. Elle a été un instrument incontournable pour que notre nation survive. Nous avons commis de faits graves. Cela ne nous a pas pris par surprise, mais la réalité dépasse largement toute prévision en gravité. Tuer n’est pas agréable, en aucun cas! Tuer est terrible. Il l’est encore plus lorsque c’est de manière involontaire.
Mais, il nous semble obscène de faire de cette souffrance infligée aux autres et à nous-mêmes un spectacle. Si par le spectacle de cette souffrance c’est l’humiliation et la reddition de l’ennemi qui est recherché, tout en sachant sciemment que cela ne fera que pérenniser le conflit, on est face à un crime.